Qu’est ce que le Prânâyâma ?
«
La science du souffle »
En abordant
le vaste sujet du prânâyâma nous sommes face à
l’un des thèmes épineux de la théorie
et de la pratique. Maintes controverses ont donné lieu à
des affirmations fantaisistes ou timorées. A en croire ce
qui est écrit dans certains ouvrages, prânâyâma
est présenté comme une technique banale ou dangereuse.
Parfois l’art du souffle ne serait qu’une gymnastique
médicamenteuse et apaisante pour des individus stressés,
voire l’adjuvant anecdotique de techniques mollassonnes. D’autres
fois les professeurs occidentaux de yoga ont, semble-t-il, peur
de respirer et décrivent prânâyâma comme
une méthode risquée et non adaptée aux européens.
Ils déconseillent à leurs élèves de
s’y entraîner plus de quelques dizaines de secondes
tout en les mettant en garde contre les aléas d’une
pratique qui irait au delà d’une simple régulation
physiologique.
Sans vouloir
polémiquer, prânâyâma ne peut être
ignoré ni éludé de la sorte. L’absence
de cette technique déterminante rend stérile les autres
membres du yoga. Pour notre compte nous affirmons ici, avec fermeté,
que prânâyâma exécuté selon les
règles de l’art ne met pas en péril l’équilibre
physique ou mental de l’individu mais qu’il est un instrument
efficace et naturel de santé, de connaissance de soi et de
développement des énergies.
Pour qui ne
se sent pas l’âme d’un ermite, il reste la seule
méthode accessible donnant prise sur le corps, permettant
de purifier les émotions et de contrôler le mental.
La maîtrise du souffle offre une chance unique d’échapper
à l’ornière de l’espèce, aux conditionnements
collectifs, aux aléas personnels et aux résidus karmiques.
La
science du souffle n’a d’autre finalité que l’arrêt
de la respiration physiologique.
Prânâyâma
n’est pas la respiration ordinaire bien qu’on utilise
les modalités physiologiques des poumons. L’air n’est
que le support ou le véhicule d’une essence invisible
: la vie et l’énergie subtile. Du premier au dernier
souffle, l’activité pneumatique ne fait qu’entretenir
la machinerie corporelle et mentale. Chaque individu sait plus ou
moins que la vie s’exprime dans la respiration, sans pour
autant arriver à en comprendre le fonctionnement ou à
l’utiliser. Le caractère fuyant et insaisissable du
principe vital se cache dans l’intimité de la roue
du cœur, là où la conscience incarnée
demeure, au centre des vents en furie qui entraînent les uns
et les autres dans la danse des émotions incontrôlées,
l’angoisse du devenir, la non-acceptation de la solitude irrémédiable
et de la mort. Les liens de l’individu sont faits du souffle
inspiré et du souffle expiré.
Immobiliser
la respiration revient donc à défaire les chaînes
individuelles. Pour cela le yogin doit dématérialiser
et intérioriser son souffle en supprimant l’air afin
que seul subsiste l’aspect vibratoire.
De même faudra-t-il retrouver le rythme du souffle universel
pour que la respiration individuelle se libère. Prânâyâma
devient alors la science du rythme nommée mâtrâ
yoga. L’effacement de la respiration ordinaire, chaotique,
arythmique, s’effectue par la mise en place des rythmes du
prânâyâma. Ceux-ci vont permettre à l’individu
de s’extraire des contenus psycho-mentaux et de se glisser
dans le mouvement intime unissant Shiva/Shakti. En effet, les structures
de l’ego, les sentiments, l’héritage karmique
prennent le souffle inconscient comme support pour s’actualiser
à chaque instant dans les comportements individuels. L’annihilation
de ce dernier entraîne l’immobilisation de l’histoire
personnelle.
Prânâyâma
renverse les valeurs de l’homme ordinaire qui s’éteint
dans une existence où dominent sommeil, torpeur et dispersion.
Ces vies sans lumière sont le lot de l’humanité
acharnée à produire et à consommer, harassée
par la quête éperdue d’un bonheur immanquablement
recherché à l’extérieur. Rien ne brille
dans ce monde de défaillances et d’agitations; les
lueurs qu’y rencontre le sage sont semblables à des
feux follets, embrasements stériles n’éclairant
pas même l’instant présent. Aveugle dans ce monde
des ombres, l’homme d’aujourd’hui ne sait pas
faire la différence entre l’essentiel et le nécessaire
; il n’a pas la force de choisir contre le cours du temps
et de sa propre histoire les confrontations qui mettraient dans
ses yeux une lueur suffisante pour éclairer son chemin. Arrêter
de respirer jusqu’à ce que les conditionnements s’effondrent
génère l’intensité requise pour changer
un destin et sortir de l’enclos.
A la lumière
de ce qui précède nous pouvons entrevoir le but et
les perspectives de prânâyâma. Loin de toutes
caricatures, c’est une « école de l’âme
» qui fait entrer le yogin dans vira marga - la voie du héros
- et lui promet une transformation magique, apte à le conduire
aux frontières du merveilleux. Devenu héros, il a
conquis un lien de parenté avec les dieux.
Sur le plan
de la personnalité, ce travail va correspondre à une
« mise à mort », la mise à mort de l’instabilité
mentale, des contenus affectifs et karmiques ainsi que des fonctionnements
entretenant ces contenus.
Dans
un tel parcours, le yogin doit s’attendre à des secousses.
La remontée inévitable des samskâra et des vâsanâ
pourrait même lui faire supposer qu’il régresse
s’il adhère affectivement à ces contenus. Ces
émergences doivent s’épuiser d’elles-mêmes
et il serait dangereux qu’il s’en mêlât, quelque
teneur ou intensité émotive puissent-elles avoir. Prânâyâma
ne fait que précipiter ce qui serait sorti de toutes façons
et sans doute dans des conditions plus défavorables. Tout cela
fait partie de la logique du développement initiatique que
le yogin doit considérer comme un signe encourageant.